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Management, violence, dignité au travail

Contribution à la connaissance des états post-traumatiques et des relations perverses à partir de consultations spécialisées pour victimes de harcèlement moral
Yves PRIGENT - Neuro-Psychiatre - Quimper


Mes connaissances sur la perversion et sur les états traumatiques, issues d'une pratique hospitalière et en cabinet privé se sont trouvées éclairées et enrichies par une consultation hebdomadaire accueillant des victimes de harcèlement moral.

Les principaux acquis à partir de cette expérience sont les suivants :

- Fréquence et " banalité " de la cruauté perverse dans une sorte de " psychopathologie de la vie quotidienne " en entreprise.

- Proximité des états liés au harcèlement avec l'ensemble des pathologies post-traumatiques décrites à propos des attentats (prises d'otages, " braquages ").

- Intérêt du diagnostic différentiel entre perversion et perversité, moins en ce qui concerne les conséquences sur la victime que sur le pronostic de situation harcelante.

- Vérification dans le cadre du travail des références cliniques classiques et psychanalytiques sur la perversion. Utilité de ces références pour la compréhension, l'élucidation et les psychothérapies de la victime à dimensions cognitivistes.

- Prise en compte de la spécificité évolutive (en général péjorative) de ces états post-traumatiques par rapport au caractère plus favorable du pronostic des dépressions réactionnelles.

- Intérêt d'une approche thérapeutique spécifique pour les victimes accueil poly-disciplinaire, prise en charge à plus long terme par des psychothérapies de groupes, préférentiellement aux psychothérapies intersubjectives traditionnelles.

- Importance du " trauma second " par analogie à ce qui s'observe dans les autres états post-traumatiques. Tentatives d'explications psychanalytiques.

- Implications socioculturelles.


Compréhension et évaluation du risque suicidaire dans les cas de harcèlement moral

Yves PRIGENT -

I- Introduction

Lorsqu'on évoque les situations de harcèlement moral, des personnes non averties tendent à assimiler ce phénomène à des chamailleries relationnelles ou à les expliquer par une certaine dureté des conditions de travail. Cette appréciation minorante et banalisante conduit les mêmes personnes à s'étonner des conséquences graves sur la santé psychique, avec en particulier, la fréquence des risques et des conduites suicidaires. Elles se tournent alors vers une explication par une hypothétique " fragilité " inhérente à la victime.

Il est vrai que l'importance des conséquences du harcèlement, mais également le caractère extrême des attitudes harcelantes ne peuvent que susciter étonnement, perplexité et souvent incrédulité tant vis à vis de la conduite du harceleur que de l'état réel de la victime.

Pour sortir de cette perplexité incrédule, devant ces phénomènes extrêmes et irrationnels, le recours à une lecture psychopathologique nous semble nécessaire pour introduire la logique du " pathos " dans ces situations exorbitantes pour la logique du sens commun.

Cette réflexion m'a été inspirée et s'est trouvée vérifiée dans ma pratique depuis un an d'une consultation spécifique pour victime de harcèlement moral au travail.

II- Explications psychopathologiques de la fréquence du phénomène

On pourrait s'attendre à ce que dans le monde, bien organisé et généralement peu investi affectivement de la vie de travail, les conflits personnels importants soient rares. Devant la fréquence du harcèlement moral grave, il nous faut bien constater qu'il ne s'agit pas d'un phénomène accidentel et fortuit mais véritablement lié à la structuration de certaines personnalités et de certains modes relationnels et organisationnels, bien repérés en clinique psychiatrique et psychanalytique sous le terme de perversion et de perversité (selon la célèbre triade freudienne : Névrose, Psychose, Perversion).

III- La gravité des faits et des attitudes rapportées par les victimes et l'effet dissolvant sur leur vie psychique ne peuvent être expliqués par les aléas de la vie de relation habituelle

Il nous faut quitter, pour comprendre cette gravité et la spécificité massive et univoque du tableau clinique, les concepts usuels de " stress ", de frustration, de réaction névrotique ou dépressive. On est alors conduit à les envisager en termes, classiques en psychopathologie contemporaine, de : " syndromes psychotraumatiques ". La sidération des fonctions intellectuelles, des capacités affectives et relationnelles ne s'observent en effet dans cette forme, cette globalité et cette intensité que dans les états de choc, psychiques et physiques, complètement différents des états induits par des blessures d'amour propre, les fatigues ou les frustrations inévitables de la vie au travail.

Quand une victime nous décrit certains propos, certaines attitudes de leur harceleur, il nous faut bien quitter l'idée d'un éventuel désagrément relationnel pour évoquer une véritable effraction de l'enveloppe psychique par des effets de manipulation, de surprise, de répétition traumatique.

De même, lorsque nous tentons d'analyser les éventuelles motivations du harceleur elles nous paraissent illogiques, hors de proportion avec l'effet apparemment recherché, le bon sens doit s'effacer derrière la prise en compte de ce que la psychanalyse nous apprend des fixations sur les positions archaïques de l'affectivité, caractéristiques des personnalités organisées sur le mode de la perversion ou une situation elle-même organisée sur celui de la perversité. Il nous faut évoquer :

- L'envie, au sens que Mélanie Klein donne à ce mot (besoin de détruire ce que l'on n'a pas et que l'on convoite, dans une attitude de violence infantile). Ceci explique l'acharnement du harceleur à dissoudre la psyché de la victime par la répétition imprévisible et exorbitante des humiliations ou des accusations, par la manipulation relationnelle, les doubles messages, et non a obtenir un bénéfice utile, comme le ferait une démarche moins immature.

- Devant l'acharnement destructeur du harceleur, il faut abandonner la référence à un certain souci de l'autre, à l'horreur de s'attaquer à une personne humaine et comprendre que par fixation ou régression affective, il ne dispose pas de ces dispositions intérieures qui nous font " croire en quelque chose " et " être concernés " par le malheur d'autrui (Winnicott).

IV- Devant la gravité des états induits chez la victime, on resterait incrédule, voire méfiant, si o n se référait à une frustration, une dépression réactionnelle, un dépit ou une angoisse.

Ce qui est un trauma occulte et répété induit un véritable état de choc portant, contrairement aux dépressions et aux angoisses, sur l'ensemble des capacités psychiques de celui ou celle qui en est victime. Ce blocage de la mémoire, de la pensée, des sentiments, de l'élan relationnel, du bonheur d'exister, de l'appétit de vivre, appartient au monde du trauma par sa globalité, sa profondeur, son caractère stéréotypé et univoque.

De même, sans cette référence au tableau clinique des syndromes psychotraumatiques, on resterait soupçonneux, perplexe voire irrité, impatient ou rejetant devant la persistance des troubles durant des semaines, des mois, parfois des années ; devant des arrêts de travail interminables, des passages à la chronicité, l'installation des troubles graves de la personnalité avec, j'y insiste ici, des risques suicidaires importants. Ce risque de mettre fin par la mort à ses états torpides s'explique par le fait que, contrairement à l'angoisse, à l'inhibition, à la dépression, les capacités à se restaurer, à élaborer, à faire les deuils, à se projeter dans l'avenir, toutes procédures évitant le vertige suicidaire, se trouvent elles-mêmes bloquées, sidérées par le trauma initial.

Le risque de suicide est d'autant plus important si la victime est l'objet d'un trauma second. Les cliniciens spécialistes des états psycho-traumatiques appellent ainsi le rejet, l'indifférence, l'oubli, voire l'agressivité dont sont l'objet, paradoxalement, les victimes de la part de leur environnement social, professionnel et parfois familial. Ce trauma second qui ne peut s'expliquer que par des phénomènes irrationnels de groupe et de bouc émissaire tels que Freud mais aussi Girard les ont évoqués, ont un effet particulièrement délétère par leur cruauté et le fait qu'ils s'exercent sur une personnalité déjà ébranlée par le trauma initial.

V- Dans le travail sur les rapports entre le harcèlement moral et les risques suicidaires, à la lumière des données psychopathologies, il est nécessaire dans cette même perspective et grâce à ces données, d'évoquer des dispositions préventives.

a) Une démarche d'explication publique telle que nous tentons de la réaliser ici nous paraît essentielle pour " tordre le cou " aux idées préconçues et largement répandues qui fond du harcèlement moral une vulgaire tracasserie, et de ses effroyables conséquences sur la victime la simple révélation d'une " fragilité " préexistante.

b) C'est plus prudemment que j'énoncerai une hypothèse psychosociologique, avec ses délicates conséquences. Le harcèlement est , à nos yeux, un mal et non un malaise, une maladie, un malheur, une malédiction. Le Mal a partie liée avec une disposition inhérente à l'homme de déchaîner, dans certaines conditions intérieures, mais aussi extérieures, une " violence originaire " normalement liée et maintenue par la maturation personnelle, le travail psychique, les chemins du langage et l'effet civilisateur des cultures. L'apparition, le développement, la transmission de ce mal ont été rapportés par Anna Arendt à une défaillance des fonctions d'autorité

Cela s'explicite philosophiquement. Cela se vérifie aussi cliniquement. Les cas graves de harcèlement que nous avons rencontrés dans notre consultation spécialisée étaient apparue habituellement dans un type d'entreprise ou l'autorité se trouvait absente, neutralisée, séduite par le harceleur, morcelée par des incohérences de légitimité ou des conflits de rivalité. Un des rôles de l'autorité dans une entreprise est d'organiser, d'expliciter les conflits et de les arbitrer. D'autre part, l'autorité du chef d'entreprise ou du personnel de direction, en distinguant la singularité des différents intervenants, tend à réduire les effets de groupe et la production de bouc émissaire qui en est le corollaire.

Restaurer et renforcer les fonctions d'autorité, faire reculer l'irresponsabilité ou le pouvoir abusif, ne sont pas des perspectives aisées à imaginer dans la pratique. Pourtant, au-delà des nécessaires prises de conscience individuelles et collectives, la Loi est venue récemment rappeler et renforcer cette fonction d'autorité comme anti-dote aux violences occultes. Elle insiste avec beaucoup de pertinence sur le rôle essentiel du chef d'entreprise, désormais pénalement responsable des cas de harcèlement au travail. Cet appel à l'autorité de l'employeur, il ne nous paraît pas abusif de dire qu'il peut contribuer à la prévention des risques suicidaires induits par la sauvagerie du harcèlement moral au travail. Au-delà de la production, de la sécurité, de la prospérité, le chef d'entreprise se voit rappeler par la loi qu'il est le garant de la dignité humaine, dans le cadre du travail, pour tous ceux qu'il emploie.

 

 

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